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Homme de lettres, écrivain et enseignant ; propriété familiale à Plassac

  Paul Tuffrau est né le 1er mai 1887 à Bordeaux, où son père, originaire de Plassac, et sa mère, de Blaye, s’étaient installés. Après une scolarité brillante à Bordeaux, il fut admis en khâgne au lycée Louis-le-Grand à Paris pour y préparer le concours d’entrée à l’École Normale supérieure de la rue d’Ulm. Ces années d’étude furent pour lui très riches de rencontres avec des jeunes intellectuels et artistes : l’écrivain ardennais Bernard Marcotte (1887-1927) auquel il consacrera plus tard une longue étude, Passage d’Ariel. Bernard Marcotte, poète, conteur et philosophe de l’ironie, René Bichet (1887-1912), écrivain comme ses amis Alain-Fournier et Jacques Rivière, le philosophe Jean Wahl (1888-1974), le sculpteur originaire d’Angoulême André Juin (1885-1978), le peintre bordelais André Lhote (1885-1962), etc. Il put aussi rencontrer Romain Rolland, avec qui une correspondance s’établira durant quelques années.

 

Reçu à Normale en 1907, il est nommé agrégé de lettres en 1911, et commence une carrière d’enseignant : lycées de Vendôme (1912) et ensuite de Chartres (1919), puis à Paris les lycées Saint-Louis (1924), Louis-le-Grand (en khâgne) (1929-1934), Rollin (1936-1951) ; et, parallèlement, à l’École Polytechnique : d’abord comme répétiteur (1919), puis comme titulaire de la chaire d’Histoire et de Littérature (1929-1958). La chaleur et la rigueur de son enseignement ont marqué beaucoup de ses élèves, ainsi Georges Pompidou qui en juillet 1931 lui écrivait : « Permettez-moi de vous remercier. D’abord de votre enseignement […], mais plus encore de votre bienveillance et de la sympathie que vous avez bien voulu me manifester. C’est cela, c’est l’atmosphère de cordialité et de confiance dans laquelle se déroulaient vos classes qui m’ont donné, comme à tous, courage, qui m’ont permis de passer plus agréablement cette année ; c’est de cela surtout que je garderai le souvenir. »
Très tôt il révéla des dons d’écrivain. Ce furent dans sa jeunesse des nouvelles inspirées du Pays Basque où il aimait aller (ces nouvelles furent réunies sous le titre Anatcho, en 1999). Puis il se tourna vers le Moyen-âge, renouvelant en français moderne divers textes : La légende de Guillaume d’Orange (1920), Les Lais de Marie de France (1923), Raoul de Cambrai (1924), Le merveilleux voyage de saint Brandan à la recherche du Paradis (1925), Le roman de Renart (1942) et Garin le Lorrain (qui oppose Lorrains et Bordelais) (publication posthume, en 1999). D’autre part, il fut l’auteur de différents écrits consacrés à la Première Guerre mondiale, à laquelle il avait participé activement. Son Carnet d’un combattant (1917) fut couronné par l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, l’auteur étant salué par Paul Courteault comme « conteur de guerre bordelais » dans la Revue Philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest, et une partie de son journal de guerre a été publié après sa mort (1914-1918. Quatre années sur le front. Carnets d’un combattant, 1998). Ses compétences le conduisirent à écrire sur l’histoire de l’École Polytechnique (notamment, son Livre d’Or en 1962). Et il travailla avec Gustave Lanson à son Histoire de la Littérature française (Manuel illustré en 1929 ; Remaniement et Complément pour la période 1850-1950 en 1953). Il avait noué à Bordeaux lors de ses études de solides amitiés avec de futurs écrivains : Georges Pancol (1888-1915), dont des écrits furent publiés en 1923 grâce à son aide (Poèmes. Journal. Lettres), René Maran (1887-1960), prix Goncourt en 1921, ou Charles Kunstler (1887-1977) qui deviendra historien et critique d’art...
Dans un article consacré à ses « années au lycée de Bordeaux », paru dans l’hebdomadaire Notre Bordeaux le 2 octobre 1954, ce dernier écrivait : « Le nom de Paul Tuffrau éveille toujours en moi un sentiment d’estime mêlé d’admiration. Au lycée de Bordeaux, où il n’avait que des amis, ses brillantes qualités intellectuelles et ses succès scolaires ne faisaient pas oublier son affabilité, sa modestie et sa droiture. Les années n’ont point changé son cœur, si généreux et si indulgent, et son esprit n’a cessé de s’élargir et de s’enrichir. Professeur disert, érudit, élégant, il s’est montré le digne continuateur des Gustave Lanson et des Joseph Bédier. La façon dont il a renouvelé des poèmes du moyen âge […] témoigne de ses dons d’historien et d’écrivain, d’historien pénétrant, de savant linguiste et de grand écrivain français. »
En fait, Paul Tuffrau fut un humaniste, au sens plein du terme, animé d’une grande force morale et d’une exceptionnelle intelligence. Mais aussi d’une très grande sensibilité, qui transparaît dans son écriture, très belle et très fluide, notamment lorsqu’il décrit des paysages, ou des atmosphères. Ces qualités ont été mises au service de la littérature et de l’enseignement, mais aussi de sa famille et de ses amis, et de la France, lorsqu’elle fut secouée par les deux conflits mondiaux (Paul Tuffrau s’étant réengagé, malgré son âge, fut mobilisé en 1939).
Le médiéviste Émile Mâle le soulignait bien, dans le domaine qui était le sien : « Présenter le cycle de Guillaume d’Orange […] était certes une belle entreprise. Vous l’avez réalisée avec un goût parfait. Votre adaptation d’une langue si pure a séduit et continuera à séduire les lecteurs […]. En rajeunissant pour nous ces vieux chefs-d’œuvre, vous avez fait une œuvre vraiment noble… » Paul Tuffrau resta toute sa vie très lié à sa région natale, où, en dehors des souvenirs personnels, l’appelaient son attachement à la terre et à la vigne, et, au bord de la Gironde, son ascendance de marins… Sa famille comporta différents capitaines de marine, et même, au XVIIIe siècle, un de ses ancêtres du côté de sa mère fut un frère du corsaire Jacques Kanon (1726-1800), auquel Daniel Binaud a consacré un chapitre dans Les Corsaires de Bordeaux et de l’estuaire (1999)…

 

Paul Tuffrau revenait très régulièrement dans la propriété familiale et viticole de Plassac située à Chopine. D’abord avec ses parents, – et dès son enfance, il avait composé un long poème sur le village, et un texte de souvenirs : Un lever de soleil (1901) – ; puis avec Andrée Lavieille (1887-1960), artiste peintre issue d’une lignée de peintres (son grand-père paternel, Eugène Lavieille, avait été un élève et un ami de Corot), qu’il avait épousée en 1912, et qui réalisa à Plassac et dans ses environs plusieurs aquarelles et peintures à l’huile.

Paul Tuffrau est décédé dans son domicile parisien le 16 mai 1973. Il était commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur.